Market in Crypto Assets (MICA)

Publié le 1 avril 2021 Mis à jour le 1 avril 2021

Analyse de la proposition de règlement orchestrée par la Commission Européenne et concernant les activités sur actifs numériques. Note rédigée par Hugo Bordet

MICA
MICA
PROPOS LIMINAIRES

Le 24 septembre 2020, la Commission Européenne a proposé son premier règlement sur les actifs numériques, le « Digital Finance Package[1] ». Il comprend une stratégie sur la finance numérique et les paiements de détail, ainsi que des propositions législatives sur la résilience opérationnelle et les actifs numériques à travers le projet MiCA[2].


L’article 2 de la proposition de règlement précise que le règlement MiCA couvre les prestataires européens de services sur actifs numériques (CASP), les offres au public de jeton et la règlementation des jetons stables.
Le règlement MiCA concerne les jetons de services (utility tokens), les représentations numériques de valeur (au sens de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier) et les jetons stables (stablecoin).


Ainsi, comment la Commission Européenne entend-elle règlementer les activités sur actifs numériques ?
 
  • Le projet MiCA instaurera une diversité de règles concernant :
  • La transparence et la divulgation pour l'émission et l'admission à la négociation d’actifs numériques.
  • La surveillance et l’autorisation des fournisseurs de services d’actifs numériques et des émetteurs de jetons référencés à l'actif et des émetteurs de jetons de monnaie électronique.
  • Le fonctionnement, l'organisation et la gouvernance applicable aux émetteurs de jetons référencés à des actifs, aux émetteurs de jetons de monnaie électronique et aux fournisseurs de services d’actifs numériques.
  • La protection des consommateurs pour l'émission, la négociation, l'échange et la conservation d’actifs numériques.
  • La prévention des abus de marché pour garantir l'intégrité des marchés d'actifs cryptographiques.


L’article 2 de la proposition précise que ce dispositif de règles concernant les actifs numériques s’appliquera “aux personnes qui se livrent à l’émission de crypto-actifs ou fournissent des services liés aux crypto-actifs dans l’Union”.


Dès lors, il s’en déduit que l’objectif de la Commission Européenne n’est pas de règlementer les actifs numériques eux-mêmes (ce qui aurait manifestement freiné le développement de ce secteur innovant). En effet, la Commission entend encadrer les activités autour des actifs numériques afin de garantir la protection des consommateurs et investisseurs tout en soutenant l’innovation. Certains acteurs tels que les banques centrales, les banques d’investissements, les établissements d’assurance, ou les liquidateurs judiciaires seront exclus du champ d’application du règlement MiCA.
 
LA RÈGLEMENTATION DES OFFRES AU PUBLIC DE JETONS.

L’article 4 du projet de règlement précise que les émetteurs de jeton dans l'Union Européenne devront se conformer à plusieurs exigences pour offrir des actifs numériques au public ou demander l'admission de ces actifs à la négociation sur une plateforme de négociation :
  • L’émetteur doit être une personne morale.
  • L’émetteur a notifié le livre blanc sur les actifs numériques (information sur le projet, sur la levée de fonds, règles de forme, etc.).
  • L’émetteur a publié le livre blanc sur son site web ; ce livre doit être accessible au public dans la même rédaction que celle qui a été notifiée aux autorités compétentes.
  • L’émetteur doit agir de bonne foi vis-à-vis des détenteurs d’actifs numériques en respectant plusieurs obligations mentionnées à l’article 13 de la proposition de règlement.
Cependant, la Commission Européenne précise que, à titre exceptionnel, l’émetteur de jetons n’aura pas à respecter ces exigences si :
  • Les jetons sont offerts gratuitement.
  • Les jetons sont automatiquement créés par minage en récompense du maintien du DLT ou de la validation des transactions.
  • Les jetons sont uniques et non fongibles avec d'autres actifs numériques.
  • Les jetons sont proposés à moins de 150 personnes physiques ou morales par État membre.
  • Sur une période de 12 mois, la contrepartie totale d'une offre au public d’actifs numériques dans l'Union ne dépasse pas 1 000 000 €.
  • L'offre au public d’actifs numériques est uniquement adressée à des investisseurs qualifiés.
En matière d’offre au public de jetons, la Commission Européenne pose l’exigence de publier un livre blanc (sauf exception). Le livre blanc (white paper) est un document recueillant les informations concernant un projet. Il permet d’expliquer la démarche entreprise et l’utilité du jeton émis[3].


Concrètement, le livre blanc doit comporter une description détaillée de l'émetteur et des principaux acteurs, une description détaillée du projet de l'émetteur, du type d’actifs numériques qui sera proposé au public et devra préciser le nombre d’actifs numériques émis ou pour lesquels l'admission à la négociation est demandée, le prix d'émission des actifs numériques et les conditions de souscription à l’offre.


D’un point de vue plus technique, l’émetteur de jetons devra donner des informations sur la technologie sous-jacente au projet ainsi qu’une description détaillée des risques liés à l’émission.
Le projet de règlement MiCA énonce que ce livre blanc ne doit pas contenir d'omissions importantes et doit être présenté sous une forme concise et compréhensible.


L’article 5 de la proposition de règlement précise que le livre blanc devra toujours contenir la mention suivante : « L'émetteur des crypto-actifs est seul responsable du contenu de ce livre blanc sur les crypto-actifs. Ce livre blanc sur les crypto-actifs n'a été revu ni approuvé par aucune autorité compétente dans aucun État membre de l'Union européenne ».
 
LA RÈGLEMENTATION DES ÉMISSIONS DE JETONS STABLES.

La commission européenne prévoit des règles inédites en ce qui concerne l’émission de jetons stables (stablecoins). Le jeton stable, actif numérique dont la volatilité est liée à un autre actif (généralement une devise) a fait l’objet de controverses internationales en raison des enjeux qu’il soulève en matière de politique monétaire et de souveraineté. La proposition de règlement MiCA vise donc à les encadrer.
S’agissant de ces jetons stables, le projet de règlement MiCA distingue les jetons de monnaie électronique (B) des jetons référencés à l’actif (B).
Si le stablecoin est qualifié de « significatif » (significant)[4] selon une liste de critères déterminés par la Commission Européenne, l’émetteur aura l’obligation de se conformer à un bloc de règles supplémentaires pour être habilité à faire une offre au public.
 
A - La règlementation des jetons de monnaie électronique (e-money tokens).

L’article 2 de la proposition de règlement définit les jetons de monnaie électronique comme étant un type d'actif cryptographiqueutilisé comme un moyen d’échange et qui vise à maintenir une valeur stable par rapport à une monnaie fiduciaire ayant un cours légal.


L’offre au public de jetons de monnaie électronique n’est autorisée que si l’émetteur est agréé comme établissement de crédit ou établissement de monnaie électronique, s’il applique les exigences de la 2e directive Monnaie Électronique[5] et s’il a publié et notifié un livre blanc à l’autorité compétente (en France il s’agit de l’Autorité des Marchés Financiers). La rédaction d’un livre blanc est donc nécessaire pour ce type d’émission. Elle répond à des conditions de formes analogue aux émissions de jetons utilitaires (I).


Le livre blanc sur les actifs numériques contiendra un résumé qui fournira en bref et dans un langage non technique des informations clés sur l'offre au public des jetons référencés à l'actif ou sur l'admission prévue de jetons référencés à l'actif à la négociation sur une plate-forme de négociation.
 
B - La règlementation des jetons référencés à l’actif (asset-referenced tokens).

L’article 2 de la proposition de règlement donne la définition de ce type de jeton stable. Il s’agit d’un actif numérique qui prétend maintenir une valeur stable en se référant à la valeur de plusieurs monnaies fiduciaires ayant cours légal, d'une ou plusieurs matières premières ou d'un ou plusieurs actifs numériques.


L’émission de jeton ou l’admission sur une plateforme nécessite un agrément préalable de l’émetteur et la notification d’un livre blanc à l’autorité compétente. C’est l’autorité nationale compétente qui délivrera cet agrément. Les conditions à respecter sont semblables à celles applicables aux CASP (crypto-asset services providers).


En outre, le projet de règlement prévoit une exigence de fonds propres pour les émissions de jetons d’au moins €350 000 ou 2% de la valeur moyenne de la réserve.
 
 
LA RÈGLEMENTATION DES PRESTATAIRES EUROPÉENS DE SERVICES SUR ACTIFS NUMÉRIQUES (Crypto-Asset Service providers).

Le projet de règlement MiCA instaure un cadre règlementaire européen applicable aux prestataires de services sur actifs numériques. Ce type de prestataire fournit un ou plusieurs services sur actifs numériques à des tiers, à titre professionnel. Les services concernés sont :
  • La conservation et administration d’actifs numériques pour le compte de tiers
  • L’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques
  • L’échange d’actifs numériques contre monnaie ayant cours légal
  • L’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques
  • L’exécution d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers
  • La réception et transmission d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers
  • Le placement d’actifs numériques
  • La fourniture de conseil sur actifs numériques
Au regard de la règlementation MiCA, la fourniture de services sur actifs numérique au sein de l’espace économique européen nécessite d’obtenir l’autorisation de l’autorité compétente.


Cette exigence d’agrément s’oppose à la règlementation française applicable aux actifs numériques. En effet, l’article L. 54-10-5 du Code monétaire et financier précise que les PSAN peuvent, de manière optionnelle, solliciter un agrément auprès de l’AMF pour la fourniture à titre de profession habituelle de services sur actifs numériques. Cependant, en vertu de l’article L. 54-10-3 du Code monétaire et financier, un enregistrement sera obligatoire pour la fourniture de services de conservation d’actifs numériques et d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant un cours légal. Le PSAN agréé aura un avantage commercial certain vis-à-vis des autres prestataires, puisqu’il pourra entre autres, effectuer le démarchage au public. La règlementation européenne de ce type de prestataire diffère donc de la législation française.


Le prestataire européen ayant obtenu une autorisation de l’autorité nationale compétente disposera alors d’un passeport européen lui permettant d’exercer dans tout l’Espace Économique Européen son activité.
 
L'ABSENCE DE CADRE RÈGLEMENTAIRE CONCERNANT LA FINANCE DÉCENTRALISÉE (DeFi).

Si la plupart des acteurs du secteur des actifs numériques soutient l’initiative de la Commission Européenne[6], considérant la proposition de règlement comme une reconnaissance réglementaire, ils soulignent toutefois le fait que la Commission Européenne n’a pas pris en considération certains pans du secteur des actifs numériques et notamment la finance décentralisée.
La finance décentralisée est une application de la chaine de blocs et des cybermonnaies (la plupart des projets DeFi se font sur la chaîne de blocs de type Ethereum). C’est un système totalement décentralisé qui instaure une finance sans intermédiaire. Elle permet par exemple d’effectuer des emprunts sur la chaîne de blocs (le projet Aave en est l’illustration[7]).


Or, les cas d’usages que présente la finance décentralisée (en utilisant la technologie des automates exécuteurs de clause) fait émerger de nouveaux risques. En effet, les protocoles DeFi fonctionnent sur contrats intelligents (automates) qui sont personnalisés par les clients utilisateurs. Ces automates peuvent comporter des risques en termes de cybersécurité[8].


Cette absence de règlementation de la finance décentralisée pose problème eu égard à l’expansion exponentielle que connait ce secteur. Ce flou juridique pourrait constituer à l’avenir une barrière à l’entrée pour les acteurs de la finance décentralisée. En effet, certains projets pourraient être restreints, voire interdits. Une règlementation ad hoc de la finance décentralisée apparaît de ce point de vue nécessaire.

SCHÉMAS EXPLICATIFS :

Schéma 1
Schéma 1

Schéma 2
Schéma 2

Loi et règlement :
- Proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil sur les marchés des crypto-actifs, et modifiant la directive (UE) 2019/1937 (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52020PC0593).
Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises du 22 mai 2019 dite loi PACTE (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038496102/).


Ce travail a bénéficié d'une aide de l'État gérée par l'Agence Nationale de la Recherche au titre du projet Investissements d'Avenir 3lA Côte d'Azur portant la référence n° ANR-19-P3IA-0002.

3IA
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[1] https://ec.europa.eu/info/publications/200924-digital-finance-proposals_en
[2]Proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant la directive (UE) 2019/1937 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/txt/?uri=celex:52020pc0593
[3]A. Barbet-Massin, F. Fleuret, A. Lourimi, W. O’rorke et C. Pion : Droit des crypto-actifs et de la Blockchain, p 370.
[4] L’article 39 de la proposition de règlement définit les critères que l’ABE doit appliquer pour déterminer si un jeton se référant à des actifs est d’importance significative.
[5] Directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements.
[6] ADAN : “Encadrement européen des crypto-actifs : L’Adan partage son analyse et ses propositions,” 13 janvier 2021 (https://adan.eu/consultation/mica-regimepilote-commission).
[7] https://docs.aave.com/faq/
[8] EUCI : “A balanced approach to crypto asset innovation and regulation in MiCA”, 16 décembre 2020